Un jour, la sensibilité s’est tue : comment je « m’ai tué ».

Oser le sensible #2 – À quel moment nous coupons-nous de lui ?
Nous naissons pleinement ouverts au monde, traversés par chaque vibration, chaque lumière, chaque souffle. La sensibilité est alors une évidence, une manière d’être au monde avant même de penser. Elle nous relie à la beauté simple d’un reflet d’eau ou à la chaleur d’une étreinte.
Puis un jour elle se tait, peu à peu, sans même en prendre conscience, nous lui dressons des murs. Un regard désapprobateur, une moquerie, une injonction à « grandir » et à « être fort »… Et voilà que nous nous détachons de ce langage intime, persuadés que trop ressentir serait une faiblesse. Ce mouvement de fermeture s’opère souvent sans bruit, dans les non-dits du quotidien, dans ces moments où l’extérieur nous dicte de nous taire.
Cet article explore ces instants imperceptibles où nous nous éloignons de notre sensibilité – non par manque, mais par protection. Revenir à ce fil perdu, c’est déjà faire le premier pas vers une réconciliation intérieure.
Mais alors si ...
Mais alors, si la sensibilité est une flamme qui rayonne en nous dès le commencement, pourquoi finit-elle si souvent par vaciller, voire s’éteindre sous un voile de silence ? À quel instant précis décidons-nous, consciemment ou non, de nous couper d’elle ? La réponse n’est pas simple, car ce détachement se tisse dans les fils subtils de nos vies, au croisement des attentes, des blessures et des masques que nous portons pour survivre.

L’enfant sensible que nous taisons
Au départ, nous sommes tous cet enfant émerveillé, celui qui pleure sans retenue, rit sans calcul, s’émerveille d’un reflet dans une flaque d’eau. Cet enfant ne connaît pas encore les murs de la honte ou les barrières de la raison. Sa sensibilité est brute, entière, offerte au monde comme un cadeau sans condition. Mais peu à peu, cet élan spontané rencontre des obstacles. Une remarque cinglante – « Ne sois pas si sensible » –, un rire moqueur, ou même un silence qui pèse plus lourd que des mots. Alors, l’enfant innocent, cet être de pureté qui vit en nous, apprend à se taire. Il range ses larmes dans un coin sombre, ses élans dans une boîte fermée à clé, croyant ainsi se protéger.
La souffrance comme muraille
Combien de souffrances faut-il pour ériger ce mur ? Parfois, une seule blessure suffit – un rejet, une trahison, une perte – pour que nous décidions que ressentir fait trop mal. D’autres fois, c’est une accumulation de petites coupures invisibles : les attentes d’un monde qui valorise la force au détriment de la fragilité, les jugements qui nous somment de « tenir le coup », les normes qui nous poussent à enfouir ce qui tremble en nous. Chaque douleur reçue devient une brique, et bientôt, nous nous retrouvons derrière une forteresse, coupés de cette sensibilité qui, autrefois, coulait librement comme une source vive.
C’est dans mon cheminement en ATA (art de la trans-analyse) que j’ai pu toucher, prendre conscience de l’ampleur de ces fissures invisibles. Ce qui me paraissait, avec mon regard d’adulte, comme une simple anecdote, s’est révélé être une pierre de plus dans l’édifice de ma cuirasse. J’ai perçu, dans ma traversée intérieure, combien une trahison enfantine – un regard détourné, une parole non entendue, un lien qui se brise sans explication – avait suffi à me refermer sur moi-même, à me couper non seulement de ma sensibilité, mais aussi de mon ouverture aux autres.
L’ATA m’a offert un espace où ces blessures pouvaient enfin être vues, non plus comme des failles à masquer, mais comme des passages à traverser puis à transformer. J’ai compris que ces murs que je croyais protecteurs étaient aussi des prisons. Que derrière chaque douleur figée se cachait une émotion suspendue, un élan bridé, une part de moi qui ne demandait qu’à retrouver son souffle.
Alors, peu à peu, j’ai réappris à écouter ces frémissements intérieurs. À accueillir ce qui, autrefois, me semblait trop vulnérable pour exister au grand jour. Car au fond, la véritable force ne réside pas dans l’armure, mais dans la capacité à laisser la lumière y filtrer.
Le prix de l'amnésie
Ce refuge a un coût. En nous coupant d’elle, nous perdons aussi une partie de notre humanité. La sensibilité, même lorsqu’elle nous rend vulnérables, est ce qui nous relie aux autres, à la beauté, à la vérité de l’existence. En la muselant, nous étouffons l’enfant qui savait voir le monde avec des yeux neufs. Nous nous privons de cette capacité à frissonner devant un coucher de soleil, à partager la peine d’un ami, à vibrer au son d’une mélodie. Et dans cet engourdissement, nous nous éloignons de nous-mêmes, devenant des ombres de ce que nous pourrions être.

Retrouver le fil perdu
Alors, comment revenir à elle ? Il ne s’agit pas de démolir d’un seul coup les murs que nous avons bâtis – ils ont, après tout, été notre abri. Mais peut-être pouvons-nous commencer par une fissure, une petite ouverture. Écouter une chanson qui remue l’âme, écrire une phrase sans chercher à la corriger, poser une main sur son cœur et sentir ses battements. Chaque pas vers notre sensibilité est une réconciliation avec cet enfant innocent que nous avons tu, un pardon offert à nous-mêmes pour avoir cru qu’il fallait tout enfouir. Car la souffrance, bien qu’elle ait érigé des barrières, ne peut effacer ce qui est au plus profond : une source qui ne demande qu’à jaillir à nouveau.
Et vous, quel souvenir d’enfance avez-vous enfoui ? Partagez-le en commentaire si vous l’osez. Bientôt prochain article : #3 Oser le sensible : comment retrouver ce fil perdu ?
Retrouver l’article Osez le sensible #1

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