C’est au cœur de l’art que résident les souhaits d’une nouvelle humanité. Un renouveau que l’artiste façonne pour mieux nous en faire voir sa nouvelle réalité.
Je vous souhaite une très belle année de renouveau.
Vision
Les visions dans l’art nous ouvrent les champs d’une nouvelle perception. Chaque période de l’art anticipe une nouvelle façon d’entrevoir le monde et de nous le faire voir, tel que nous ne l’avions encore jamais vu. Il ne s’agit pas de nous montrer seulement une jolie image (celle-ci par ailleurs est bien souvent rejetée par un regard qui n’est pas encore habitué) mais de nous faire confronter à nos limites mentales, à ce que nous ne pouvons pas encore voir, à ce que nous refusons de percevoir.
Van Gogh est celui qui rend visible ce qui ne se voit pas.
C’est un soir de 1889, alors qu’il observe le ciel nocturne depuis sa chambre qu’il réalise l’un de ses tableaux le plus connu : La Nuit étoilée.
Pour retranscrire sa contemplation de la voûte céleste pendant la nuit il relie ses recherches d’effets de lumière à sa quête intérieure. Cette nuit devient celle de l’âme et l’expression d’un espace d’union avec le divin.
Nous revivons les perceptions de l’artiste comme si nous contemplions directement nous-même cette voûte étoilée. Nous laissons notre regard englober la totalité de ce ciel et en percevons ses vibrations avant de nous laisser emporter par le rythme des touches mauves et bleues. Nous plongeons au cœur de la spirale située dans le centre de la composition puis ricochons sur les onze étoiles spiralées elle aussi et ponctuant de leurs contrastes colorés le ciel :« Certaines étoiles sont citronnées, d’autres ont des feux roses, verts, bleus, myosotis » écrivit un jour le peintre à sa sœur.
Irradiés par la lumière vive de la lune nous continuons à nous déplacer dans cet espace visionnaire. Au loin et en contrebas le village de Saint-Rémy-de-Provence nous transmet une atmosphère paisible de village endormi. Entre ciel et terre, au premier plan un cyprès se dresse tel une flamme vacillante et vient accentuer par écho le clocher et l’effet mystique de l’ensemble.: « J’ai un terrible besoin de religion. Alors la nuit je sors pour peindre les étoiles ».
Sensation
Monet dans la représentation d’un simple soleil levant annonce une nouvelle aube à venir de l’humanité en rendant présentes les sensations. Il nous ouvre notre sensorialité et agrandi notre champ perceptif.
Nous ressentons alors aussi ce temps présent, ce moment où le peintre pose ses dernières touches pour évoquer l’effet de la lumière au soleil levant. Nous devenons ce moment d’éternité.
Nos pensées « personnelles » fondent dans la lumière et l’air jusqu’à s’interrompre. Nous ressentons, percevons avant que de comprendre. Nous accueillons le monde tel qu’il est sans le couvrir du voile de nos pensées. « Qualité, lumière, couleur, profondeur, qui sont là-bas devant nous, n’y sont que parce qu’elles éveillent un écho dans notre corps, qui leur fait accueil », écrit Maurice Merleau Ponty. » Impression, soleil levant » de Monet est à l’origine du mouvement impressionniste.
En 1874, l’artiste le montre dans la première exposition de la Société anonyme coopérative des artistes, organisée dans les anciens ateliers de Nadar. Il intitule alors cette vue du Havre : « Impression ».
Lors de cette exposition, le terme « d’impressionnisme » fut lancé de façon ironique par Louis Leroy, critique d’art au Charivari, puis un groupe de peintres le reprit et s’en réclama. Avec l’impressionnisme, ces artistes inaugurent une nouvelle orientation picturale : l’intérêt grandissant pour le rendu d’une atmosphère, d’une impression, au détriment d’une description minutieuse de la nature, est au cœur d’un changement radical dans la représentation.
Même s’il en est l’inspirateur, Monet a cependant toujours marqué son indépendance à l’égard du mouvement.
Conscience
L’art de tout temps élargit notre conscience. Les artistes témoins d’oppressions, luttent et s’insurgent à la fois dans un nouveau langage mais aussi dans des représentations engagées. Ils se font voix et donnent à voir ce que nous n’osons encore montrer à notre conscience. Dans cette composition, La Liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix retrace de manière allégorique l’insurrection populaire du 27, 28 et 29 juillet 1830 à Paris, nommée aussi Les Trois Glorieuses. Les républicains libéraux renversent Charles X, dernier roi Bourbon de France, et mettent à sa place Louis Philippe, duc d’Orléans. Cette œuvre est exposée au Salon en mai 1831.
Achevée en quelques mois, d’octobre à décembre 1830, « La Liberté guidant le peuple » passe pour avoir été réalisée d’un seul geste. Elle est en fait le fruit d’une longue gestation, car c’est au milieu des études et croquis réalisés pour « La Grèce sur les ruines de Missollonghi » (1826) que Delacroix en a conçu l’idée. Comme deux branches issues d’un tronc commun, les deux œuvres sont nées d’une seule idée de départ, datant de 1821 : une figure féminine allégorique se tenant debout sur des décombres et des cadavres. L’esquisse de cette œuvre déposée au musée Delacroix témoigne de cette parenté entre « La Grèce » et « La Liberté ».
Image de l’enthousiasme révolutionnaire, prolongeant la peinture historique du XVIIIe siècle et devançant le Guernica de Picasso, cette œuvre devient universelle. Dans la contemplation de cette œuvre, nous sommes invités à ressentir physiquement cet élan de liberté que rien ne semble pouvoir contenir.
Connaissance
La connaissance est une vérité universelle. Et quoi de plus universel qu’une œuvre. Par son alchimie elle participe à déployer en nous une évidence au-delà des opinions et des croyances. Cette connaissance se transmet par nos sens, elle touche notre sentiment et aiguise notre intelligence intuitive. Elle nous imprègne totalement et nous incite à commencer notre propre quête du savoir.
« Toute connaissance commence par les sentiments », nous dit Léonard de Vinci.
La Joconde est une peinture à l’huile sur panneau de bois, réalisée par Léonard de Vinci vers 1503-1506. Ce tableau de la Renaissance italienne s’intitule « Portrait de Mona Lisa », le nom du modèle qui y est représenté.
De cette œuvre émane une grande sérénité grâce à une technique appelée sfumato, que Léonard de Vinci maîtrisait parfaitement. Les lignes et les contours disparaissent et semblent se fondre les uns dans les autres grâce à une superposition de plusieurs couches de peinture. L’artiste a également superposé des glacis à la surface de sa peinture, pour pouvoir ombrer subtilement sa composition. Chaque couche translucide lui permettait de varier les clartés et les coloris.
C’est aussi l’esprit humaniste qui se manifeste ici avec l’apparition d’un nouveau genre : le portrait. Au Moyen Âge, ce sujet avait été oublié du fait de la montée du christianisme qui exigeait que l’on ne s’intéresse qu’à Dieu et à l’au-delà. Ce n’est qu’aux XIVe et XVe siècles que la représentation du visage autorise l’expression de la personnalité du modèle. Ainsi, « La Joconde » n’est pas seulement le portrait d’une femme, c’est surtout le portrait d’un sentiment universel, celui d’une grâce immanente.
Au cœur de l’être
L’art nous touche. Et c’est au cœur de notre être qu’il agit. Chaque vibration, touche, modelage, gestes et éléments viennent animer notre sensorialité, notre âme, notre propre mystère et notre sens au sacré. Il est la porte à notre humanité, à percevoir le monde et son mouvement de vie, son renouvellement à chaque fois. Il éveille notre passé pour mieux nous en rappeler son à venir. Il est notre propre gestation.
La jeune artiste allemande Paula Modersohn-Becker (1876-1907) est considérée comme une pionnière : les historiens de l’art saluent sa capacité à saisir l’essence des formes, la force expressive de ses couleurs et son point de vue intimiste dans le traitement des sujets. Elle nous laisse une œuvre profondément féminine, des tableaux jugés à son époque trop avant-gardistes ou mal perçus par son entourage.
« Je, moi, Paula… », nous murmure-t-elle.
Là, face à cette figure de femme enceinte, le haut du corps dénudé, nous nous interrogeons : représente-t-elle son auto-création, est-elle enceinte d’elle-même ? Car à ce moment-là, nous l’apprenons, l’artiste n’est pas encore enceinte.
Nous posons un regard sans tabou sur ce corps « nature », ni idéalisé, ni emprunt du désir d’un homme. C’est un autoportrait qui nous transmet ses paroles : « Laissez-moi être moi-même, c’est tellement magnifique ! »
C’est, dans l’histoire de l’art, la première fois qu’une femme se représente nue. Si les images de femmes nues peintes par des hommes prédominaient, il n’en existait pas alors peintes par des femmes.
Nous nous imprégnons de ce féminin sacré et, comme elle, ressentons sa force vulnérable : nous nous éloignons du schéma traditionnel de l’épouse et de la mère, la représentation de la femme enceinte symbolise ainsi ici la gestation d’elle-même.
C’est en touchant son propre moi créateur et sa nouvelle identité de femme qu’elle trouve sa voie. À travers ce regard empli de présence, elle nous laisse percevoir son âme, celle qui lui fit écrire le 17 février 1906 à son ami le poète Rainer Maria Rilke : « Je ne suis pas Modersohn, et je ne suis plus Becker. Je suis moi, et j’aspire à le devenir d’avantage. »
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