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Le corps sensible qui ne s’anime plus

Osez le sensible, le corps sensible

Avec le temps, ce n’est pas seulement notre esprit qui se coupe de la sensibilité ; notre corps, lui aussi, se fige. Ce corps sensible qui ne s’anime plus, ce vaisseau qui, enfant, vibrait au moindre souffle – une caresse, un frisson, une course dans l’herbe – devient peu à peu une armure. Les épaules se crispent, le souffle se raccourcit, les mains restent immobiles, comme si elles avaient oublié comment saisir le monde.

Percevez-vous cette cuirasse ?
Ce corps sensible, qui savait autrefois danser avec la vie, s’est endormi sous le poids des silences, des tensions et des peurs accumulées.

Mais s’il ne s’anime plus, ce n’est pas qu’il a perdu sa capacité à ressentir : il attend, patiemment, que nous venions le retrouver.

Pourquoi le corps se mure-t-il ?

Ce retrait du corps est une réponse naturelle à ce que nous avons traversé. Il porte les marques des chocs, des mots non dits, des émotions ravalées. Chaque fois que nous avons serré les dents pour « tenir bon », chaque fois que nous avons retenu nos larmes ou nos élans, le corps a obéi, se repliant sur lui-même. Il s’est habitué à la retenue, à la rigidité, jusqu’à devenir un étranger à notre propre sensibilité.

Pourtant, sous cette apparente immobilité, il reste un sanctuaire vivant, un gardien fidèle de notre essence, prêt à s’éveiller dès que nous lui tendrons la main.

corps prisonnier
Photo de joe-desousa sur Unsplash

Le chemin pour se reconnecter à notre essence

Revenir à ce corps sensible n’est pas une conquête brutale, mais un retour doux, une invitation à réhabiter ce qui a été abandonné. C’est un chemin fait de petits gestes, de patience et d’écoute dans lequel chaque pas compte.

Se re-donner du souffle

Tout commence par le souffle, ce fil invisible qui relie l’âme au corps. Asseyez-vous un instant, fermez les yeux, et laissez l’air entrer lentement, sans forcer. Sentez-le gonfler votre poitrine, descendre jusqu’à votre ventre. Où s’arrête-t-il ? Où rencontre-t-il une résistance ? Respirer pleinement, c’est déjà réveiller le corps, lui rappeler qu’il peut s’ouvrir, qu’il n’a pas besoin de se protéger à chaque instant. Avec le temps, ce simple acte dissout les nœuds, ramène une fluidité là où tout s’était figé.

Un jour, presque par hasard, mes pas m’ont mené vers Pol Charoy et Imanou Risselard, créateurs du Wutao, du Chant du Souffle et de l’Art de la Trans-analyse. Nous nous sommes retrouvés dans un parc, au cœur de Paris. Je ne savais pas encore pourquoi j’étais là, ni quelle pratique m’attendait. Les arts énergétiques m’étaient inconnus, et le Wutao lui-même n’était qu’en gestation, flottant dans l’invisible avant de prendre forme.

Près d’un arbre, nous avons commencé à respirer. Puis est venu le souffle, s’étirant en un chant, une vibration. Et soudain, quelque chose s’est ouvert en moi. Dans cette simple respiration consciente, dans cette transe naissante, j’ai retrouvé mon essence. Présence. Sensible, sacré. Comme si, par le souffle, je me souvenais enfin de qui j’étais.

Toucher avec intention

Le toucher, aussi, est une clé. Posez une main sur votre cœur, sur votre visage ou laissez simplement vos pieds nus rencontrer la terre. Sentez la chaleur, la texture, le poids de ce contact. Ce n’est pas seulement un geste physique : c’est une reconnaissance. En touchant votre corps avec douceur, vous lui murmurez qu’il est vu, qu’il a le droit d’exister dans sa fragilité. Peu à peu, il cesse de se méfier. Il répond, frémissant sous vos doigts comme une terre aride retrouvant l’eau.

Et c’est ce que j’ai vécu, là, dans ce parc. Après le souffle, le toucher est venu comme un deuxième acte. J’ai posé mes mains, délicatement, sur mon plexus solaire et mon bassin. Juste à l’écoute. Une écoute qui ne cherchait rien, sinon la bienveillance et la délicatesse.

Alors, de nouveau, j’ai senti ce sens sacré d’être au monde. Comme une naissance intérieure. Une émotion profonde m’a traversée : peut-être était-ce là le même toucher qu’une mère dépose sur la peau de son nouveau-né.

Corps sensible, le toucher
Photo de Hadis Safari sur Unsplash

Bouger en conscience

Puis vint le mouvement… Même imperceptible, il ouvre un passage. Levez les bras lentement, étirez-vous comme si vos doigts cherchaient le ciel. Ou bien balancez-vous d’un pied sur l’autre, au rythme d’un souffle. Ne cherchez ni la performance ni l’esthétique, mais la sensation. Que murmure votre dos ? Que racontent vos hanches, vos mains ? Le corps sensible s’éveille lorsqu’on l’écoute, lorsqu’on lui permet d’exister, libre d’attente, libre de jugement. Une danse improvisée, un frisson qui traverse l’échine, un soupir relâché. Chaque geste ranime une étincelle, comme un feu oublié sous la cendre.

Et c’est dans cette ondulation naissante, au creux du Wutao, là dans ce parc, que mon corps a ressenti pour la première fois sa pleine globalité. Plus de frontières entre l’intérieur et l’extérieur, plus de séparation entre moi et ce qui m’entoure. Juste un dialogue subtil entre mon souffle, mon mouvement, l’espace et le vivant. Une évidence à la fois unique et pourtant familière, comme un secret que mon être connaissait déjà, mais que le temps avait voilé. Et dans cet instant, dans cet abandon au mouvement, il s’est révélé à nouveau.

Laisser parler les sens

Et puis, s’ouvrirent de nouveau les sens… Ces portes grandes ouvertes sur le monde. Fermez les yeux et écoutez : le bruissement des feuilles, le tic-tac d’une horloge lointaine, le rythme secret de votre propre souffle. Humez une fleur, un café, l’odeur de la pluie sur la terre. Effleurez une écorce rugueuse, la douceur d’un tissu, la tiédeur d’une peau. Prenez un fruit et laissez sa texture, son goût, se révéler à vous sans précipitation.
Ces expériences, si simples soient-elles, rappellent au corps qu’il est vivant. Qu’il n’est pas une simple mécanique, mais un réceptacle vibrant, un pont entre le visible et l’invisible, entre soi et le monde.

Je me souviens encore de cet instant précis, gravé en moi : ce souffle, cette onde du Wutao qui a réouvert mes sens. Comme si, soudain, le monde m’entourait d’une présence plus vaste, plus vibrante, plus intime.

L'ouverture des sens

Un corps qui respire à nouveau

Se reconnecter à son corps sensible, c’est lui redonner la parole, le laisser raconter son histoire – celle des joies qu’il a portées, des peines qu’il a encaissées, des élans qu’il a tus. Ce chemin n’efface pas les cicatrices mais les transforme en ponts vers une sensibilité retrouvée.
Peu à peu, les épaules s’allègent, le souffle s’approfondit, les mains s’ouvrent. Le corps redevient un allié, un compagnon, pour de nouveau fusionner avec nous et vibrer dans une danse infinie entre l’intérieur et l’extérieur.

Ouvrir son corps sensible est une douce révolution.

Je ne savais rien de tout cela en ce jour où, poussée par les secrets de mon âme, j’arrivai dans ce parc. J’ignorais encore que cet instant bouleverserait tout, qu’il ferait éclore en moi dans un autre regard, une autre façon d’être au monde.

Ce souffle, ce mouvement, cette présence allaient transmuter ma perception et déployer ce qui, aujourd’hui, est devenu l’essence même de mon approche sensible de l’art.

Pionnière en approche sensible de l'art, elle est cheffe de projet de la Voix sensible de l'art au sein de la Team des arts irisés.

4 comments

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Magdalena

Un article doux et poétique qui invite à se reconnecter à soi… Merci 😉

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Edouard Le minor

Un texte d’une grande justesse, à la fois poétique et profondément incarné. La manière dont tu reconnectes le souffle, le mouvement et la sensorialité à l’essence même de l’être est aussi apaisante qu’inspirante. Une lecture qui fait du bien et qui invite à ralentir, à ressentir, à réhabiter son corps avec douceur. Merci pour ce partage sincère et vibrant.

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Magalie VERNET-HANOTAUX

Merci pour ce texte profond et délicat, qui fait écho à ce que j’ai pu observer durant mes 15 années d’expérience dans les musées. Dans ces espaces où le sensible et l’intellect se rencontrent, la question du corps, de sa présence ou de son absence, est centrale. Trop souvent, nous oublions que l’art nous traverse aussi par les sens et le ressenti, bien au-delà du discours intellectuel. Ton invitation à reconnecter avec ce « corps sensible » résonne particulièrement avec ma démarche d’accompagnement auprès d’artistes et de dirigeants, pour qui retrouver cette connexion sensorielle est souvent la clé d’un alignement authentique et d’une créativité renouvelée. Un beau rappel à écouter davantage nos sensations profondes. Merci pour ce partage inspirant !

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Jackie

Merci pour cette réflexion profonde sur la sensibilité et la vitalité du corps. Ton article semble poser des questions essentielles sur ce qui nourrit notre essence et réveille la connexion entre le corps et l’esprit. Une lecture qui promet d’inspirer une résonance intérieure.

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